(Ex)Pression à Froid
#80 Consentement euphorique au musée
Je vous parlais dans une précédente newsletter du concept de « Consentement Euphorique » évoqué par Edwige Chirouter lors du colloque « Faire Grandir les Enfants » qui se tenait le mois dernier à la Cité des Sciences et de l’Industrie. Pour rappel, le « consentement euphorique » désigne la capacité qu’ont les enfants (et que conservent certains adultes) à plonger corps et âme dans un récit de fiction et accepter pleinement les imaginaires qu’il véhicule. On doit ce concept à Vincent Jouve qui le décrit dans son ouvrage La Lecture (1993).
Pendant la table ronde à laquelle participait Edwige Chirouter (intitulée « Les Mondes Imaginaires »), il a beaucoup été question d’émerveillement et « d’étonnement devant le monde », son équivalent philosophique (Aristote). Les récits, la fiction, qu’ils soient déployés dans l’écriture ou dans l’oralité (un medium bien plus puissant selon Nathalie Sejean) constituent des outils privilégiés pour faire sens de la complexité du monde. Ces récits permettent de développer un esprit critique, s’ouvrir à l’altérité et développer sa capacité à se mettre en empathie, interroger le monde qui nous entoure, ou encore et plus pragmatiquement – retenir des informations.
Edwige Chirouter a elle-même organisé son travail de recherche à partir de l’hypothèse suivante : « on ne peut apprendre à philosopher sans une médiation culturelle qui permette la mise à distance et la problématisation de la notion travaillée (le Bonheur, la Liberté, l’Amour, etc.) » (1). Cette médiation, elle la considère dans la littérature (jeunesse) et plus largement dans les histoires.
Pour ma part et en tant que visiteuse de musées, je remarque que les textes d’exposition, les parcours et les médiations « adultes » contiennent très rarement d’invitation à l’imaginaire, de récits auxquels nous pourrions, nous aussi, consentir de manière plus ou moins euphorique. Je ne suis pas une enfant, et je n’en ai pas, mais je me sens pourtant souvent plus attirée par les cartels estampillés « famille » que par leurs équivalents « officiels ». D’ailleurs, et comme je le mentionnais dans ce numéro de l’infolettre, j’y apprends souvent plus de choses – ou en tous cas, je les retiens davantage. Comment pourrions-nous insuffler cet émerveillement dans nos textes d’expositions, nos parcours, nos médiations ? Quelles leçons extraire et quels changements – ou a minima, quelles expérimentations – pouvons-nous mettre en œuvre dans les musées ? Comment (ré)insuffler cet émerveillement à tous les moments de la visite muséale, pour les enfants mais pas exclusivement ?
Je me demande s’il ne serait pas intéressant de concevoir des propositions qui soient toutes « adaptées à la jeunesse (2) » avec tout ce que cela implique d’appel à l’imaginaire, à l’étonnement, au pouvoir des histoires. Peut-être qu’en concevant avec les enfants comme usagers/visiteurs par défaut (dans une logique de conception universelle), on parviendrait à embarquer tout le monde ? Pour cela, on penserait alors à :
• (Re)investir le domaine de la narration, voire de la fiction, dans la conception des expositions (textes, médiations et parcours compris), et s’inspirer de leurs codes
• Collaborer avec des auteur·ices, et notamment celles et ceux écrivant des œuvres adaptées à la jeunesse
• Écouter les publics petits et grands pour mieux cerner les questions métaphysiques ou concrètes qui les animent ; les univers qui les séduisent ou les intriguent ; les références qu’ils et elles cultivent
• Adapter ou « mettre à jour » les récits et les patterns de récit que nous faisons habituellement circuler (comme le préconisait Nathalie Sejean)
• Explorer les différents media permettant de raconter ces histoires : le texte, le son, l’oralité, l’animation, etc.
• Tester (voire co-consrtuire) ces récits et leur matérialisation muséographique avec les publics concernés
Qu’en pensez-vous ?
(1) Les récits pour penser le monde, Edwiche Chirouter sur Page Educ’
(2) Lors du colloque, Edwige Chirouter expliquait qu’elle préfèrait le terme de littérarture « adaptée à la jeunesse » plutôt que « littérature jeunesse ». C’est une distinction qui m’apparaît intéressante car elle m’apparaît inclusive et déstigmatisante