Cet article est une réflexion “à voix haute” sur la traduction du terme “community art” en français, et du concept même de “community art” en France. Une réflexion à laquelle j’invite toutes les personnes intéressées à apporter leur grain de sel.
Lorsque je tente d’expliquer de manière concise ce qu’est le community art à une personne francophone, j’évoque généralement la notion de « pratique socio-culturelle ». Puis j’embraye, « connaissez-vous la différence entre la France et les pays anglo-saxons sur ce sujet ? ».
En Angleterre et aux Etats-Unis, le community art est un mouvement artistique à part entière, avec une longue histoire documentée et des artistes contemporains reconnus, recevant des prix de la Fondation Mac Arthur et autres récompenses prestigieuses. En France, la pratique socio-culturelle est peu subventionnée, encore moins estimée, pratiquée par des « animateurs » anonymes. Bref, outre-Manche et outre-Atlantique, c’est un mouvement artistique à part entière ; dans l’Hexagone c’est une sous-catégorie du social.
En parallèle de mon activité professionnelle, je monte en ce moment une association liée au community art, pratique que j’ai étudiée et autour de laquelle j’ai travaillé au Royaume-Uni, aux Etats-Unis et au Mexique. Plus que jamais, je ressens le besoin de trouver un terme francophone pour décrire ce mouvement. Je réalise que ma volonté de trouver un nom français à une pratique qui n’a que peu d’histoire et de représentants dans l’Hexagone est peut-être paradoxale ; mais je suis convaincue que ces pratiques sont en pleine expansion, alors, autant les nommer. Au Québec, community art a tout simplement été traduit par « Art Communautaire », une appellation qui ferait un peu grincer des dents par ici.
Pour trouver une appellation alternative, la session de remue-méninges est ouverte.
C’est quoi le « Community Art » ?
Le community art est une pratique développée par un.e artiste au sein d’une communauté* spécifique, le plus souvent dans une logique participative, permettant aux membres de cette communauté d’être moteurs et/ou acteurs des œuvres réalisées. Le community art émerge souvent comme une réponse à des problématiques sociales et politiques. En cela, il se rapproche du creative placemaking; de plus, il aspire souvent à promouvoir l’éducation et la démocratisation culturelles. On cite souvent Joseph Beuys (1921-1986) et sa sculpture sociale comme le pionnier du community art mais il est indéniable que des artistes anglo-saxons moins connus travaillaient avant lui dans une démarche dite de community art et ce dès les années 60.
Parmi nos contemporains, François Matarasso, chercheur indépendant et praticien en community art, tient un blog intitulé A Restless Art; il a également consacré plusieurs ouvrages à cette pratique. Son blog (en anglais) est une mine d’or pour tous les curieux de l’histoire et de la pratique contemporaine du community art.
Les community artists
Les community artists sont des “problem-solvers”, des “change-makers” (on n’a pas fini le travail de traduction !) travaillant avec des communautés spécifiques — les leurs mais pas uniquement.
Le community art nécessite une approche quasi-anthropologique d’observation et d’analyse de terrain ; c’est une pratique ancrée dans un contexte précis et unique. Le copié-collé ne fonctionne pas, chaque projet est informé par la communauté dans lequel il se développe.
Parmi les artistes contemporains, on trouve Theaster Gates (USA), Rick Lowe (USA), Pablo Helguera (USA), Sandi Hilal (Palestine), Eduardo Padilha (UK), Jaime Ruiz (Mexique), Monica Castillo (Mexique), Maria Gaspar (USA), Assemble (UK), Suzanne Lacy (USA), et bien d’autres.
Et en France ?
Le community art n’a pas connu le même développement en France. Cela s’explique probablement par les différences, entre l’Hexagone et les pays anglo-saxons, concernant l’implication de l’Etat dans les politiques sociales ainsi que le financement de la culture. Dans les pays anglo-saxons, l’Etat Providence n’est pas un modèle aussi installé qu’en France ; ainsi l’absence de solutions à certaines problématiques sociales et socio-culturelles a encouragé des artistes à s’emparer de ces questions.
Cela étant dit, en France, des démarches individuelles ou collectives mêlant artistes et architectes ont existé et continuent de se développer. Ce développement peut être lié à la baisse des subventions attribuées à la culture et à l’augmentation visible des inégalités sociales. Parmi ces artistes et collectifs, on trouve notamment : le Bruit du Frigo, Yes We Camp, Julien de Casabianca, JR, Cochenko, Ne pas plier, pour n’en citer que quelques uns.
Traduire Community Art
J’ai évoqué l’appellation « art communautaire » utilisée au Québec et la connotation péjorative qu’elle pourrait prendre en France. Je n’apprécie pas non plus le terme « socio-culturel » qui renvoie souvent aux clubs du mercredi après-midi gérés par des « animateurs », plutôt qu’aux notions d’empowerment, d’auto-détermination et de résolution de problèmes qu’impliquent le community art. On utilise parfois « art participatif » mais le community art n’est pas seulement participatif : il est surtout attaché à un contexte précis et à une communauté donnée, qu’elle soit géographique, politique, générationnelle, constituée autour de centres d’intérêts partagés ou de problématiques en commun. Idem pour « art collectif » ; on peut missionner un street artist pour faire une fresque avec des enfants, mais ce n’est pas pour autant qu’on est dans du community art. On parle aussi d’« art citoyen » ou « art social », ces termes me parlent un peu plus mais ne me satisfont pas totalement.
J’ai joué pendant quelques mois avec l’idée d’« art de proximité » qui me semblait évoquer l’accessibilité et le travail de terrain. Finalement, après des mois de réflexion — que dis-je, des années — je gravite aujourd’hui autour d’« art(s) commun(s) », « art du commun », « arts des communs ». J’hésite encore entre ces trois traductions mais l’idée est là.
Le commun, les communs reprend la racine du mot « community » et évoque l’idée d’un regroupement, choisi ou subi, de plusieurs personnes autour d’un élément commun : la situation géographique, l’ethnicité, le genre, l’origine sociale, etc. De plus, le commun, « les communs », est un terme de plus en plus utilisé en France pour des initiatives ou des intentions faisant écho à celle du community art.
Cette réflexion est encore en chantier mais j’espère à travers cet article pouvoir entamer une discussion avec celles et ceux intéressés par ces pratiques, connaître leur avis sur les termes appropriés pour en parler, et échanger sur les courants voisins tels le creative placemaking (urbanisme culturel) et le social practice.
Ressources :
A Restless Art
Ideas City
Cap Arts Centre
Arts + Public Life (University of Chicago)
Common Field
EmcArts
* Une communauté n’est pas seulement ethnique, géographique ou sociale. Par définition une communauté est un regroupement de personnes avec une ou des caractéristiques communes, ou partageant une connexion forte, par exemple un intérêt commun.