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Adopter un vocabulaire commun et questionner le mot “projet”

Conduite du changement dans les institutions culturelles

Ces derniers mois, j’ai mené de nombreuses missions dites de “conduite du changement” pour des institutions culturelles. Lors des ateliers avec les équipes, un constat m’a frappée : souvent, les membres de la même institution ne disposent pas d’un vocabulaire commun et arrêté.

Par exemple, pour faire référence à la même chose, certains vont parler de « projet », d’autres de « programme », d’autres encore d’« action » ou alors de « mission ». Ces mots sont d’ailleurs souvent utilisés de manière interchangeable, en fonction des dernières tendances langagières du secteur.

Pourtant, le choix de mots et l’adoption d’un vocabulaire commun et réfléchi est un enjeu immense pour la santé interne d’une institution, ainsi que pour sa relation avec ses publics. J’aimerais évoquer ici la nécessité d’adopter un vocabulaire commun au sein d’une institution mais aussi, vous convaincre de renoncer à parler de « projet ».

Pourquoi adopter un vocabulaire commun ?

On ne peut pas trouver ou servir son public si on ne sait pas qui on est en tant qu’institution ; c’est encore plus crucial pour les organisations souhaitant évoluer dans une logique de partenariat et de co-création avec leurs publics. Les mots qu’on utilise en interne pour parler de ce qu’on fait et de qui on est sont essentiels. S’ils sont partagés et réfléchis, en d’autres termes si on a pris le temps de les choisir et qu’on s’est accordés sur le sens qu’on leur donne, ils peuvent permettre une plus sincère adhésion des employés aux missions de l’institution, et une vision plus claire de la stratégie.

Nous savons d’expérience que, face au même mot, les membres d’une même équipe auront chacun une interprétation ou un ressenti potentiellement différent. Ces interprétations sont façonnées par leur milieu, leurs expériences,  leur  culture. Dans un article au sujet du rôle du Design Thinking sur la définition d’un vocabulaire commun, Sarah Gibbons argumente par ailleurs que « des interprétations contradictoires de notions fondamentales nuisent à l’efficacité de l’équipe et créent une frustration et une animosité inutiles. » Adopter un vocabulaire commun garantit donc une meilleure entente et plus d’efficacité au sein d’une équipe ; une fois qu’on s’entend sur le sens du « quoi », il est plus facile de passer au « comment ».

Un vocabulaire commun ? C’est la base !

La base donc, c’est d’abord un travail de positionnement et d’identité — si possible réalisé avec le concours de tous les membres de l’institution, dans une logique collaborative. Ensuite, on peut y inclure un travail de vision pour établir une feuille de route. Dès la phase de positionnement et identité, le travail sur le vocabulaire commun débute : quelles sont les valeurs que nous avons choisies ? Quels adjectifs ou verbes utilisons-nous pour décrire notre raison d’être ? Notre impact ? Par exemple, est-ce que la transmission fait partie de nos valeurs, et qu’entend-on par « transmission » ?

Le vocabulaire commun s’applique aussi à tout le langage « opérationnel ». Est ce qu’on parle de l’”objet”, de la “mission” ou de la “raison d’être” de notre institution ? Qu’est ce qui motive notre choix et en quoi le terme adopté est-il lié à l’histoire et à l’identité de notre organisation ? Idem pour « programmes », « actions », « offres » : quels mots utilise-t-on et pourquoi ? Existe-t-il une hiérarchie parmi ces termes permettant aux membres de l’organisation de mieux comprendre et communiquer leur travail ?

Le choix du vocabulaire peut avoir un immense impact sur vos équipes et vos publics, il se choisit de manière consciente et consciencieuse. D’ailleurs, il faut qu’on parle du mot « projet » …

Le problème avec le mot « projet » 

Un petit rappel sémantique ? Selon le Littré, le projet « n’est que l’intention de faire quelque chose ». L’utilisation du mot « projet » pour désigner les initiatives concrètes, développées et proposées à nos publics est donc totalement inappropriée. Parlons d’action (culturelle), d’initiative, de programme, d’offre, d’opération, mais pas de projet — à part si ce dont on parle n’est encore qu’au stade de l’intention. Les mots ont du poids, et il me semble que c’est aussi le rôle des institutions culturelles de réfléchir et faire réfléchir à leur utilisation, leur diffusion et leur impact.

Les mots sont des partis-pris. Prenons tous ceux qu’on utilise pour désigner les publics ne fréquentant pas les institutions : non-publics, publics empêchés, éloignés, défavorisés. Lequel employez-vous et pourquoi ? Quels constats ou aprioris implique-t-il ? Il est essentiel de questionner sans cesse les mots qu’on utilise en interne, auprès de nos partenaires et avec nos publics. Concernant les termes qu’on utilise pour ces derniers, le mieux est encore de leur demander comment ils souhaitent être désignés.

Les avantages d’un vocabulaire commun

Les avantages d’un vocabulaire commun sont multiples.

En interne :

  • Donner du sens et favoriser l’adhésion des membres de l’institution à la vision stratégique et aux actions menées.
  • Éviter les malentendus, différences d’interprétations non adressés et par conséquent les frustrations au sein des équipes.
  • Permettre une meilleure organisation et compréhension des fonctionnements de l’institution. Je sais qu’au sein de mon musée, un objectif est différent d’une mission, elle-même différente d’une action et que ces trois éléments ont une relation hiérarchique claire.

Avec les partenaires et parties prenantes :

  • Transmettre un message clair concernant qui est notre institution, ce qu’elle fait, et pourquoi. On recueille ainsi plus de confiance et d’adhésion de la part des partenaires.
  • En faisant preuve de transparence sur le vocabulaire qu’on utilise — nos partis pris — on renvoie l’image d’une institution engagée, réfléchie et novatrice : on attire des partenaires similaires, désireux d’établir une vraie relation.

Avec le public :

  • Afficher une identité claire, assumée, intentionnelle
  • Définir un positionnement et un vocabulaire clair et réfléchi, pour être plus organisé, plus investi et donc plus à même de servir son public.
  • Garantir une meilleure communication, constante et accessible.

Adopter un vocabulaire commun et réfléchi est essentiel pour toute institution culturelle. Pourquoi ne pas composer votre propre lexique et le partager en version papier et web avec vos équipes, partenaires et publics ?

Le choix de votre vocabulaire sera d’autant plus pertinent s’il est réalisé en collaboration avec eux.

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